Les coïncidences n’existent pas.
Il y a un peu plus de cinq ans, alors que j’organisais en Espagne une exposition de « molas », ces petits tableaux textiles que portent les femmes de la tribu Kuna qui vivent en Colombie et au Panama, j’ai lu un livre qui décrivait merveilleusement la ville de Panama des années 50, un livre riche d’émotions et de sensations (Panama Split, Ernesto Endara, Ediciones Contrabando).*
Mon amie Berna à Panama a coutume de me présenter en disant que c’est la lecture d’un livre qui m’a conduite là-bas et effectivement c’est ainsi que tout a commencé. J’ai refermé le livre et peu après, je suis allée sur place me rendre compte par moi-même.
Je dois à Neco Endara, ce bel écrivain panaméen, de m’avoir accueillie et de m’avoir fait découvrir les secrets de sa ville chérie. Grâce à lui je me suis fait aussi de vrais amis à Panama et il m’a épaulée dans ce projet un peu fou. Pourtant, lui aussi avec tous ses talents de conteur a essayé plus tard de me dissuader lorsque j’ai décidé de partir seule en forêt à la recherche des masques. Pour me détourner de mes idées, il me disait que les chauves-souris géantes, les crocodiles et les réducteurs de tête n’allaient faire qu’une bouchée de celle qu’il dénommera ensuite gentiment : « la reina del Darién » !
En organisant mon exposition, j’avais entamé une relation avec Michel Perrin, l’ethnologue français spécialiste des « molas » et des indiens Kunas. Fascinée par ce travail et curieuse de ce pays, j’ai eu tout simplement envie de travailler avec les indigènes créateurs de ces merveilles et forte de tout cela, j’ai décidé de ce premier voyage.
Ministère de l’artisanat, de l’exportation, ambassades et attachés d’ambassades, tout a été mis en œuvre lors de ce premier séjour pour rencontrer les artisans et les acteurs économiques, découvrir le travail qu’il y avait derrière les molas et découvrir aussi d’autres beaux produits d’art et d’artisanat.
Pourtant, ce n’est pas aux réseaux officiels que Ethic & Tropic doit d’avoir vu le jour, c’est par un vrai réseau d’amis et en m’embarquant dans une véritable aventure que tout a effectivement commencé.
Un jour, j’ai découvert dans le marché de la vieille ville quatre masques que j’ai ramenés à Paris. Ils m’ont fascinée et ils ont fasciné.
Alors j’ai remonté leur histoire, j’ai pris un bus, un de ces petits bus poussiéreux de la ligne régulière et je suis allée jusqu’au terminal là où s’arrête la route et où commence vraiment la forêt dense, à la rencontre des tribus qui fabriquent ces pièces.
Parmi mes connaissances, personne pour m’accompagner, personne pour me guider, j’ai dû tout simplement emprunter la ligne de bus qu’utilisent les propres indigènes lorsqu’ils veulent se rendre en ville.
Mes amis ont tenté de m’en dissuader, on ne va pas en forêt, c’est dangereux, très dangereux, personne n’y va et encore moins les étrangers. En ville, on ne sait rien de ce qui se passe là-bas, quand on prononce le nom de « Darién », tout le monde roule des yeux effarés. Et puis il fallait un laissez-passer, il s’agit d’une zone à risque.
J’aime beaucoup ce jeu encore, chaque fois que je prends un taxi dans la ville et que le chauffeur, curieux, me demande ce que je fais ici, business ou tourisme… j’observe son visage dans le rétroviseur avant de laisser tomber ce nom « Darién », et ça ne manque pas, c’est toujours la même réaction incrédule.
En montant dans le petit bus la première fois, je ne savais pas du tout où j’allais.
Il y avait quelques femmes indigènes Kunas avec des enfants qui attendaient le départ. Puis peu à peu, en sortant de la ville, de petits cultivateurs locaux, à la peau tannée, chapeau sale vissé sur la tête et portant des vêtements de travail sont montés pour redescendre au bout de quelques heures, le bus semblant s’arrêter çà et là à la demande de chacun.
Les uns descendaient, les autres montaient et je me demandais où ils allaient et d’où ils venaient car tout autour je ne voyais rien et peu à peu la forêt nous entourait. Parfois un vendeur ambulant aussi parvenait jusqu’à nous et j’ai même vu un prêcheur évangélique monter dans un des rares villages, ballotté par les secousses de la route mais parvenant à se cramponner debout face à nous, pour nous assener ses prières et nous menacer de la vindicte de Dieu, tout le monde écoutant son prêche et répétant : Amen.
Au fil de mes voyages, ces masques, je les ai fait découvrir à mes amis panaméens qui ne les avaient jamais vus et sans mon grain de folie ils seraient toujours cachés au fond de la forêt et voués probablement à disparaître.
Aujourd’hui j’ai abandonné le bus et nous partons en pick-up avec Jesús, une belle personne, mon chauffeur devenu un ami, mais c’est toujours une aventure. Jésus arrive ponctuellement avant l’aube. Pendant tout notre voyage nous évoquons joyeusement les dernières nouvelles (nous sommes aussi bavards l’un que l’autre). Cinq à six heures plus tard, nous arrivons dans le tout dernier village situé au bout de la route Transaméricaine. Il faut ensuite continuer en pirogue.
Là où je vais, il n’y a ni eau courante, ni électricité, ni routes, pas même de chemin. Il me faut donc de longues heures de voyage en 4 x 4 puis en pirogue par une chaleur moite, écrasante et parfois sous l’orage tropical; il faut souvent faire étape avant de pouvoir continuer. Je dors parfois dans un hamac, là où on m’invite à dormir. La moustiquaire me protège autant des moustiques que des insectes volants et rampants et je m’endors au bruit des battements d’ailes des chauves-souris. Je suis réveillée avant l’aube par le cri des singes dans la forêt ou le chant des coqs et les aboiements des chiens errants dans les villages et partout par la multitude d’oiseaux. Il y a les moustiques qui nous tourmentent souvent et, à la saison des pluies, les « morongolls », de minuscules insectes qui passent partout malgré les vêtements couvrants, toute précaution est inutile. Je garde parfois les marques de piqûres pendant des mois.
On me dit souvent que j’ai été très courageuse. Je ne le crois pas, je réponds que le courage c’est vaincre sa ou ses peurs. Or, je n’ai jamais eu peur. Parfois j’arrive à croire moi-même que les masques m’ont appelée.
Aujourd’hui après cinq ans, j’ai là-bas une famille. Quand je ne suis pas en forêt avec les tribus, je suis chez mes amis.
J’ai ma chambre chez Irina avec ma grande malle où je garde moustiquaires, hamacs, sac de couchage. J’y ai aussi des bottes, des sacs imperméables et des vêtements de pluie pour la saison humide, terribles mois durant lesquels la pluie tropicale est incessante et fait déborder les cours d’eau, déracinant les arbres. Il y a aussi des lotions anti-moustiques, même si on n’y croit plus et l’indispensable lampe torche à fixer sur le front pour se déplacer la nuit. J’ai même des couverts en plastique achetés il y a longtemps quand on m’a parlé d’épidémie de choléra, mais que finalement je n’ose pas utiliser par courtoisie envers les indigènes avec lesquels je partage mes repas. En résumé, j’ai dans cette malle des objets dont j’ignorais l’utilité il y a quelques années avant de commencer à organiser seule mes expéditions. Avant cela, je n’avais même jamais posé le pied dans un camping !
Quand je rentre de la forêt et que je retrouve la maison, je file directement sous la douche et j’apprécie le luxe de l’eau courante et d’une douche chaude. Je promets de raconter mes dernières aventures le lendemain matin autour du petit déjeuner que nous prenons sur la terrasse avec les amis, la famille et les colibris.
À environ 9 000 kilomètres de Paris, à plusieurs jours de voyage des grandes capitales… On parle de « bouchon » lorsque l'on se réfère à cette partie de l'Amérique centrale car il est impossible d'y circuler du fait de l'absence totale de routes et de pistes.
C'est la plus grande réserve de tout le continent américain, un des lieux les plus préservés au monde, un espace vierge et sauvage considéré aussi parfois comme le lieu le plus dangereux d’Amérique centrale à cause des maladies tropicales, des animaux sauvages, mais aussi à cause de l’omniprésence du narcotrafic.
Visualisez le continent américain, de l’Alaska jusqu’à la Terre de Feu… Cet immense continent est parcouru par la route Transaméricaine, une des routes les plus longues du monde, environ 30 000 kilomètres, qui relie les hommes du nord de l’Alaska jusqu’au sud de la Patagonie, mais s’interrompt à peine plus d’une centaine de kilomètres en Amérique Centrale.
Dans cette petite bande de terre de 160 kilomètres entre Pacifique et Atlantique, juste à la frontière entre le Panama et la Colombie, il reste un espace totalement vierge où aucun véhicule n’a jamais pénétré, el « Tapón del Darién », autrement dit le bouchon du Darién. Cette partie du continent appelée parfois « l’enfer vert » est restée intacte depuis l’arrivée des espagnols.
Ici, plus aucune connexion avec la vie urbaine, pas de pistes ni de chemins, il faut abandonner l’idée de se déplacer avec une voiture et s’embarquer sur une frêle embarcation, une petite pirogue, un « cayuco », creusée dans le tronc d'un arbre. Le seul moyen de communiquer d’un village à l’autre c’est d’emprunter les nombreuses rivières étroites et sinueuses dont le cours varie selon les saisons, sèches ou humides.
Dans le meilleur des cas, un petit bateau équipé d'un moteur établit la liaison plusieurs fois dans la semaine avec certains villages un peu plus importants.
Il faut parfois plusieurs jours pour joindre certains villages.
Au sein de cette forêt très dense et dans cet environnement préservé, vivent deux petites communautés indigènes parmi les plus méconnues au monde, les plus authentiques aussi, les Wounaans et les Emberas.
Les masques sont tous élaborés là par les femmes indigènes de ces ethnies au cœur de la forêt tropicale.
Ces femmes qui sont devenues des artisanes en collaborant avec moi n'ont jamais connu d'autre environnement et parlent différents dialectes selon la tribu à laquelle elles appartiennent.
C’est dans cette forêt impénétrable que prennent forme les masques, inspirés par l'environnement tropical et par les légendes aussi, par l'inconscient collectif des peuples qui l'habitent.
Il y a en général dans le village au moins une « tienda », un lieu où l’on peut acheter quelques denrées de base, du riz, parfois un œuf ou deux, ainsi que des produits un peu plus élaborés tels que des boissons sucrées, des bonbons, des biscuits, tous produits importés de Panama et acheminés en pirogue jusque-là, avec les difficultés et la lenteur que l’on connaît.
Il y a aussi toujours un poste de police. La police est omniprésente et je dois m’enregistrer partout où je passe, rendre compte de chacun de mes déplacements, où je vais, quand et avec qui. C’est une sécurité car le narcotrafic est extrêmement important ici. C’est un corps de police spécialement entraîné qui est affecté à la surveillance de cette zone frontalière entre la Colombie et le Panama.
Les tribus Wounaan et Embera que je côtoie et avec lesquelles je travaille vivent en harmonie avec la nature et perpétuent leurs rites et traditions, transmis oralement de génération en génération.
Ces tribus sont animistes et communiquent par l'intermédiaire du chamane avec les esprits de la nature, les « haï », qui se trouvent aussi bien dans les arbres, les plantes et les animaux.
La forêt tropicale est impénétrable, l’isolement des petits villages construits au bord des rivières et à des jours de voyage de la ville ainsi que la richesse des tropiques ont permis à ces populations de maintenir leurs traditions tout en vivant en autosuffisance.
Les indiens divisent le monde en deux, un monde visible et un monde parallèle et invisible. « La grande supériorité de ce monde parallèle, de cet univers d'ombres, c'est qu'il peut voir les hommes alors que les hommes, eux ne peuvent le voir », écrit Jean-Marie Le Clézio.
Ils vont donc créer des façons d'entrer en communication avec ce monde parallèle.
Chaque village compte un ou une chamane qui détient des pouvoirs malheureusement de plus en plus concurrencés par le mode de vie de notre civilisation, par la religion et par la médecine moderne. Là aussi, tous ces savoirs sont transmis oralement de génération en génération. C'est le chamane lui-même qui choisira à qui transmettre ses secrets.
Michel Perrin écrit : « Être chamane ne signifie pas professer certaines croyances mais recourir à un certain mode de communication avec le surnaturel », c’est entrer en communication avec le monde invisible.
Le rôle du chamane est thérapeutique, il soigne les maladies qui sont en général considérées comme un vol de l’âme ou comme l’introduction dans le corps d’esprits qui le tourmentent. Il guérit aussi les mauvais sorts, accompagne les morts vers l’au-delà et il peut avoir un rôle de divination. Il va expliquer les maux car il est le lien entre ce monde et l’autre monde, il veille ainsi à l’équilibre général du monde ou des mondes… C’est une personne comme les autres dans la tribu, mais quand on le sollicite, il se met au service des autres. Tout le monde le connaît.
On peut alors imaginer combien le chamane est craint ou vénéré, mais il est aussi de plus en plus souvent mis à l’index par la société occidentale et la religion chrétienne qui gagnent du terrain.
Et puis, être chamane n’est pas de tout repos, l’initiation est longue et peut durer des années, il faut parfois quitter le village pour aller s’initier ailleurs, auprès d’autres chamanes et aujourd’hui les candidats sont rares.
Les masques sont dérivés des rites chamaniques, car pour les indiens « il n'y a pas de création inutile, il n'y a pas d'art pour l'art, il n'y a que des fonctions » (Le Clezio). Ces masques ont donc une fonction...
Les rites ont lieu la nuit car c’est la nuit que se manifeste le monde invisible et que l’on peut entrer en communication avec lui. Les « mesas », nom donné au rituel, durent toute la nuit.
Les rites mêlent absorption de plantes et décoctions, chants, danses parfois et aussi souvent absorption d'alcool, la « chicha » obtenue par la fermentation du maïs.
En amont du rituel, on a parfois recours à l’application de peintures corporelles tant pour le chamane que pour le demandeur.
Le travail lors de la « mesa » est long, le chamane suit un rituel pour lequel il a besoin d’accessoires, ses bâtons en bois sculptés sont toujours présents dans le rite. Parfois pour communiquer avec les esprits ou pour les tromper, il a recours à des représentations, qui sont pour notre plus grand bonheur ces masques, ou « nemboro » (qui signifie tête en langue Embera).
Dans la forêt, nous utilisons désormais le terme masque, « máscara », mais je me suis vite rendu compte qu’il s’agissait d’une erreur de ma part : c’est moi qui ait nommé ces pièces des masques, avec ma vision occidentale, et tout le monde a repris ce terme. En langue Embera, on dit « Nemboro » lorsque l’on parle des « masques » ; or, « nemboro » signifie tête.
Ce n’est pas anodin, car on ne se travestit pas, ce n’est pas un carnaval. En utilisant le nemboro, on prend réellement l’apparence et l’âme, l’énergie de la bête ou de l’esprit représentés. Le terme masque est faible.
Plus que des masques, ces magnifiques pièces sont bien des esprits, des âmes.
Ce qui atteste de leur force c’est notamment que les nemboros sont détruits après les « mesas » et il n’existe pas de pièces anciennes, ils ne sont pas faits pour durer, contrairement aux masques africains faits en bois ou en métal. Après le rituel, le masque peut être très facilement brûlé et disparaître et cela parce que je suppose que toute pièce qui a « dansé », toute pièce « chargée » ne peut être touchée par personne d’autre que le chamane.
Nous décidons de partir une journée et de remonter le río Membrillo pour visiter trois nouveaux villages très éloignés.
Je cherche toujours à découvrir de nouvelles techniques, différentes façons d’élaborer les pièces et surtout de nouvelles inspirations.
J’ai appris très vite qu’il n’y a aucune volonté de productivité chez les indigènes et aucune solidarité non plus entre eux. À chacun de mes voyages, pour m’assurer de trouver une belle variété de masques, des techniques et des coloris variés, je dois travailler avec de nombreux villages et un grand nombre de personnes.
Un peu plus tard, dans le premier village où nous faisons halte, je verrai un tronc d’arbre et on m’expliquera que de ce même tronc on fera une pirogue, d’une seule et belle pièce.
De ce voyage je pourrais raconter beaucoup de choses, comme ces rencontres incroyables avec des personnes qui toutes ont déjà entendu parler de moi et attendent ma visite dans des villages au bout du monde où il n’y a aucune activité ni aucune visite, je pourrais narrer les conditions particulières et difficiles, les moustiques qui nous dévorent à travers les vêtements, l’humidité collante et la chaleur torride, la fatigue, mais ce que je veux relater ici c’est une conversation en particulier.
Lorsque nous arrivons à Saba, je me dirige d’abord vers la première maison et demande à une femme si elle peut nous préparer à manger. Il est presque 13h00 et nous sommes levés depuis quatre heures du matin, le voyage est long et fatigant et je sais qu’il faudra à cette femme beaucoup de temps pour s’organiser. Je vais ensuite, conduite par sa fille, acheter un peu plus loin dans le village quelques œufs et du poulet pour nos équipiers afin qu’elle les cuisine pour nous avec du riz et des « patacones » (bananes frites) comme toujours. Comme je ne mange pas de viande, mes menus se composent tous les jours de riz et bananes.
Pendant qu’elle prépare, je m’entretiens avec son mari, l’homme est curieux de notre présence et il a envie de parler, alors dès que je peux, j’oriente la conversation sur le chamane du village en arguant que j’aimerais quelque chose pour soulager les piqûres des moustiques.
Si je vous parle de Teresa, vous allez nourrir le désir de la rencontrer un jour. Mais il n’est pas aisé d’arriver jusqu’au village où vit Teresa.
C’est un lieu si éloigné qu’il nous faut au moins quatre à cinq jours libres pour aller la voir. Nous disposons rarement d’autant de jours pour une visite. De plus, il faut compter avec les aléas du voyage, il n’est pas rare que les bateaux chavirent dans ce coin-là car il faut s’aventurer en mer avant d’entrer dans la longue rivière sinueuse qui conduit au cœur de la forêt… Et quand le bateau chavire, adieu paquetages, appareil photo, téléphone… Adieu aux masques aussi !
Si le temps est mauvais et s’il y a de trop fortes pluies, il faut parfois attendre un à deux jours de plus pour que le bateau puisse arriver jusqu’à ce petit village et accoster pour prendre des passagers. La rivière est capricieuse, c’est la nature qui commande ici, pas les hommes.
Il y avait autrefois une petite piste d’atterrissage qui permettait de venir en avionnette depuis Panama. Mais moi je n’ai connu ce bout de terre goudronné qu’envahi par la végétation tropicale, avec quelques vaches broutant paisiblement, accompagnées par les chiens errants faméliques. La ligne a été suspendue il y a quelques années et très vite la nature a repris ses droits et plus personne n’est venu jusqu’ici.
Chez Teresa, il y a aussi de petites statuettes de bois, des bouquets de plantes séchées qui pendent du toit, de vieilles bouteilles de plastique contenant des décoctions, l’une d’elle étant d’ailleurs très efficace contre mes insolations.
Je ne pars pas les mains vides de chez Teresa, elle m’offre ce qu’elle a récolté le jour même, un bouquet d’herbes aromatiques ou sa cueillette « d’aji », des petits poivrons doux et orangés.
Teresa ne possède rien et elle est la générosité même. Elle me propose toujours de rester dormir chez elle et de partager ses journées, elle aime les visites.
Et il y a entre elle et moi un lien particulier que j’ai senti immédiatement et dont je garde le souvenir au plus profond de moi. Ses mots lors de ma première visite m’ont profondément touchée.
Villanor, comme sa petite sœur âgée, elle, de 18 mois, manifestait depuis lors des comportements étranges. Lui était très nerveux, parfois agressif et sa sœur avait des insomnies et se réveillait en pleurs chaque soir à la tombée de la nuit, moment où les esprits se manifestent.
Quelques mois plus tard, j’ai retrouvé la personne qui m’avait raconté cette histoire et qui était elle-même la tante de ces deux enfants. La famille avait demandé à un chamane de venir faire une « mesa » pour les deux enfants et leur mère, car l’esprit du père les tourmentait.
Le rôle du chamane allait être d’intercéder auprès de l’esprit pour qu’il laisse sa veuve et ses enfants poursuivre leur vie paisiblement et les délivrer de leur tourment.
Je n’ai pas assisté à cette « mesa » et je n’ai pas revu ces personnes depuis, mais je suis bien sûre que les trois doivent aller bien aujourd’hui. On m’a dit que c’était un bon chamane qui s’occupait du cas.
Je suis attendue, pour tous je suis Corina, l’étrangère (étrange et étrangère) qui leur rend visite si souvent qu’elle en devient familière. Ma venue est une fête, la promesse d’argent, donc de menues emplettes pour les femmes, d’acquisitions pour elles et leurs enfants.
C’est une fête aussi parce que mon arrivée rompt la routine, elles se retrouvent dans le village plusieurs jours rassemblées autour de moi, comparant le travail des unes et des autres, parlant entre elles avec animation.
Quand je suis là au milieu de ces femmes et de ces enfants qui m’entourent joyeusement, moi qui ai grandi en France, dans un tout petit village à la campagne, je ne peux m’empêcher de penser à la fête du village de mon enfance et à cette excitation propre aux lieux où il ne se passe jamais rien.
Quand je repars après avoir visité et séjourné dans plusieurs villages, les femmes savent quand je reviendrai et elles savent aussi de combien de pièces j’aurai besoin. J’oriente le travail à venir, coloris, dimensions, mais jamais personne ne respecte mes demandes et c’est finalement beaucoup plus drôle ainsi. De toute façon, tout le monde sait que j’achèterai de la même façon toute la production, peu importe mes requêtes, chacun continue à faire ce qu’il a envie de faire !
Les artistes qui détiennent ce savoir-faire sont toujours des femmes, à très peu d’exceptions près. Elles vivent avec leurs familles au sein de la forêt tropicale et elles sont fascinantes.
Tout d'abord réservées, voire méfiantes, elles me font désormais confiance, car elles connaissent ma bonne foi et perçoivent mon admiration sincère pour leur travail.
Elles ont pris conscience peu à peu de la valeur de leur travail et de leurs traditions. Elles tressent généralement pour elles des paniers très fins de la même matière,
Être une femme est incontestablement un atout ici.
Si j’avais été un homme, je n’aurais jamais vécu une telle expérience.
Les masques sont tous fabriqués au cœur de la forêt et les femmes travaillent ensemble dans chaque village, librement et à leur rythme.
En famille ou en conversant avec les voisines, il n'est pas rare de voir les artisanes travailler dans les hamacs, bercées par la brise.
Faut-il vous dire que ces masques sont réalisés entièrement à la main sans l'aide d'aucune machine ? C'est évident bien sûr car je ne sais pas où nous irions chercher des machines dans la forêt... le seul ustensile nécessaire, c'est une aiguille.
Et puis chaque artisane fait ses mélanges et obtient les teintes les plus extraordinaires, souvent très vives et très gaies.
Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il n’y a ni livre ni cahier dans la forêt, aucun dessin et aucun plan. La pièce naît dans l’imagination de l’artisane et s’élabore directement.
Quand une artisane prépare la structure en « nahuala », je ne sais pas ce qu’elle a en tête et peu à peu, je vois apparaître l’animal.
Le temps d'élaboration est difficile à évaluer exactement car les artisanes ne travaillent pas dans un atelier à heures fixes, mais chez elles, et organisent à leur convenance les tâches quotidiennes et le travail de création et tissage.
Ces pièces sont imaginées et réalisées loin de toute vie urbaine ; l'inspiration de cette pièce est puisée dans l'environnement proche, dans l'imaginaire individuel et collectif aussi.
Les femmes observent la forêt, les animaux qui les entourent, mais leurs rêves et leurs croyances jouent aussi un rôle important.
Animaux, mais aussi esprits de la forêt, l’origine du masque reste un mystère et lorsque je demande parfois ce qu’elles ont voulu représenter, elles esquivent mon regard et ma question en riant.
Chaque artisane est une artiste qui travaille d'après la nature et qui a un style bien à elle. Regardez l'expression de ces animaux ! Il y a par exemple de nombreuses représentations de singes, mais il n'y en a pas deux identiques. Agressive, drôle, caressante, chaque expression est unique…. Les regards sont fascinants, inquiétants aussi parfois.
Chevaux, agoutis, léopards, crocodiles et une multitude d'oiseaux tropicaux ; la gamme est infinie car chaque masque est, et restera, une pièce unique et c'est une merveille que de découvrir encore et toujours de nouvelles expressions, de nouvelles combinaisons. Je suis pour ma part toujours surprise et émerveillée par le travail fourni.
Choisissez votre masque ou laissez-vous « attraper » par lui.
La vente des masques contribue aussi largement à la scolarité des enfants, car quelquefois les femmes se déplacent pour un temps dans un autre village afin d’être plus près de l’école. On s’installe vite dans une « choza » faite de planches et au toit de palmes.
Ce sont elles seules qui administrent leur gain.
Je n'ai rien changé aux habitudes des artisanes. Je n’ai pas altéré et je n’altère pas l’ordre des choses. C’est moi qui m’adapte aux situations les plus curieuses, parfois difficiles.
Pour aller voir les artisanes ou pour qu'elles viennent jusqu'à moi, ne pensez pas qu'il est possible d'utiliser le bus ou la voiture, il faut aussi abandonner le 4X4 et emprunter une petite embarcation, souvent pendant de longues heures.
C'est le seul moyen de communication car il n'y a ni route, ni piste. Ce sont les deux grandes rivières et leurs multiples affluents qui relient les villages et assurent leur survie.
Là aussi, il faut du temps, de la patience... imaginez !
Nos masques trouvent leur place dans des intérieurs aussi bien classiques que modernes. Je serai très heureuse de collaborer avec vous et vous conseiller si vous le souhaitez pour votre projet de décoration intérieure ou dans un projet global d’architecture. Vous pouvez aussi consulter notre botique en ligne, vous plongerez dans notre univers de masques, bijoux talismans et objets d’art et de décoration.
Je dédie ces textes à José Antonio Ardila
Merci à tous ceux qui m’ont aidée et font partie de cette histoire en Espagne, au Panama et en France. Ils se reconnaitront, ils ont été là pour moi au fil de ces années passées et ils sont mes totems et une part de moi-même.
Merci aux petites lumières du monde invisible qui m’ont guidée pas à pas.